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Comme nous écrivions sans savoir où aller, nous sommes montés sur le bateau Agrippine. Flamboyant et massif, il semble indiquer le chemin vers un horizon doré. Sur la rive, quelques Voyants nous affirment que le bateau est sombre et fragile, qu’il est piégé, que même la plus petite vaguelette suffirait à le renverser. Nous partons malgré tout. Alors que nous sommes à la limite de la portée de leur voix, que nous avons dépassé la portée de leurs yeux, nous les entendons crier « Agrippine doit mourir ! ». Nous ignorons ces aveugles. Nous ne pensons qu’au voyage. Nous ignorons à la fois leur prédiction sombre et l’horizon doré. Tout n’est qu’illusion.

Mais rien n’est à ignorer. Sur le bateau, une fois encerclé par la mer, nous nous enthousiasmons du moindre bruissement de voile, de la moindre ombre aperçue dans la mer, de la moindre minuscule fêlure dessinée sur la coque. Nous imprégnons nos sens de ces riches détails, et rêvons de les accorder à nos instruments. Des voix nous méprisent. Se moquent de nos curiosités volages. Elles nous murmurent « restez figés et passifs, une terre brillante est promise. N’usez pas en vain votre esprit. ». Cela nous agace. Il n’y a pas un détail qui ne mérite une réflexion, si frêle, si humble soit-elle ! Et nous crions : « Si la nature -ou marâtre- nous a donné tant de plumes, de stylos, d’objectifs, aux bouts de tant de doigts, c’est pour les essayer, les bouger, les secouer encore et encore ! Accorder ces mouvements en danse, sans fausse modestie, sans grandes ambitions, pour le plaisir, pour la peine, et pour ce mystère qui les lie ! »

Les voix se taisent mais la prédiction s’accomplit, et ce ne sont pas des vaguelettes, mais des hystéries de la mer qui révèlent les plaies dont fut victime sur le port Agrippine ! Peut-elle seulement encore avancer ? Nous l’espérons, nous le pensons, nous le crions ! Nous écrirons malgré tout ! Même si l’on connaît le piège ! Ecrire pour croire en l’horizon doré ! Pour le renier ! Pour annoncer notre perte certaine ! Pour croire en notre chance de nous sauver du naufrage ! Qu’importe que l’horizon soit sombre et que les pages avec lesquelles nous calfeutrons le bateau soient déjà gorgées d’eau ! Et qu’importe que l’horizon d’or ne cesse de reculer, puisque nous avançons encore ! Même si Agrippine doit mourir ! Nous dansons malgré tout ! Nourrissons la coque de nos chants ! Agrippine doit mourir, mais nous pouvons la nourrir ! Agrippine doit mourir, mais nous allons nous en nourrir !